Soirée LittéNature : poursuivre la conversation avec la Nature
Samedi 08 Novembre, nous étions réunis autour de Frédéric Faure, Joel Zanouy, Thoreau, Leopold, Jeffers, Snyders et l'écriture pour une soirée et discussion intitulée : "Litténature, soirée lectures inspirée par la nature"
Une belle réussite pour ce premier évènement de notre programme annuel "Culture et Ecologie" qui a réuni une vingtaine de spectateurs attentifs et curieux
Merci à nos deux intervenants, Frédéric et Joel qui pour l'occasion nous offrent des contenus inédits
En voici quelques extraits
Fabienne, le 08/11/2025
Thoreau, Leopold, Jeffers et Snyder — aux sources de la pensée écologiste / Exposé lecture par Frédéric Faure

"Une écoute concentrée hier soir au Laps à Bordeaux pour les chantres de Walden Pond, Sand County, Pico Blanco et North San Juan. Un bon retour d’ensemble, mais aussi quelques réticences, bien humaines, à se laisser décentrer en suivant le terrible Jeffers dans son «inhumanisme» et submerger par sa «vague de marbre abrupte»."
Replongeons-nous dans cette lignée de poètes américains ancrés en profondeur dans un territoire et aux avant-postes de l’écologie. Dans leur approche poétique, ces précurseurs de « l’esprit écologique » ont une saveur d’expression bien oubliée des terminologies actuelles relatives aux questions environnementales. C’est un rafraîchissement, aux sources de leurs textes, que je propose.
Mais c’est aussi pour la finesse et la richesse de leur pensée qu’il convient de les redécouvrir.
L’écologie à l’état naissant voyait large, portait ses réflexions à l’échelle d’un monde (Welt), et pas seulement au niveau d’un environnement (Unwelt). Avec les nécessités politiques une ambition
s’est perdue en route. À l’heure du « géocide » (un mot de Michel Deguy), il est urgent de retrouver, avec la hauteur de vue de ces poètes-penseurs, ce que Jeffers nommait « une dignité de l’espace ».
Notre première visite est pour Henry David Thoreau — poète et naturaliste libertaire, né en 1817, qui défend la « simplicité volontaire » et nous met déjà sur la voie de la décroissance. Le voici à
Concord, près de sa cabane en bois, complètement immergé dans l’étang de Walden : « Ne serait-ce pas délicieux de rester plongé jusqu’au cou dans un marais solitaire pendant tout un jour d’été,
embaumé par les fleurs du myrica et de l’airelle ? Disons douze heures de conversation familière avec la grenouille tachetée… »
En passant par le Wiscousin, ancien territoire de glaciation aux roches rares, nous croisons Aldo Leopold, l’auteur de l’Almanach d’un comté des sables (journal des événements naturels d’une
année paru un an après sa mort en 1949). Forestier de son état, il est l’auteur d’une « Esthétique de la préservation » et sa réflexion précise de l’écologie le conduit à préférer parler d’une « éthique de
la terre » (earth ethic). Sa poétique est inséparable de l’expérience vécue — lors d’une promenade dans le Manitoba, il note avec humour : « Si l’on peut écrire un poème par un grand effort cérébral,
le marcheur en compose un bien meilleur rien qu’en levant le pied. »
Cap sur la Californie, où nous allons rencontrer, sur les hauteurs du Pico Blanco, le poète Robinson Jeffers (1887-1962). Au sommet de sa tour (une habitation qu’il édifia avec des roches du rivage), il
vit délibérément à l’écart de l’humanité déclinante : « Nous sommes plus que des citoyens américains, plus que des produits du XXe siècle… Nos cellules se souviennent de la mer salée de nos origines et du mouvement des marées. » Son oeuvre a de larges perspectives spatio-temporelles, y passe le souffle des présocratiques et une logique négativiste d’esprit bouddhiste. Elle porte l’empreinte géologique de cette côte solitaire. Parmi de nombreux titres, retenons l’emblématique The Tower beyond Tragedy.
C’est dans l’arrière-pays du nord-est californien, en Sierra Nevada, que nous rendons notre dernière visite au poète Gary Snyder. Cette figure centrale de la Beat Generation est à 95 ans bien en vie.
Voyageur pétri de zen, il s’est installé là en 1970 dans une communauté rurale, où il a bâti sa maison et mis en pratique les concepts de biorégionalisme et de ré-habitation du territoire. Dans sa Pratique sauvage, l’activiste de l’écologie politique nous remémore l’essentiel : « La civilisation est dans la nature : nos egos jouent sur le terrain de l’inconscient, l’histoire a lieu à l’holocène, la culture humaine est enracinée dans le primitif et le paléolithique, notre corps est un corps de mammifère vertébré, et nos âmes sont là dehors, dans l’espace sauvage. »
Pour contacter Frédéric Faure, c'est ici
Bibliographie
Thoreau, Journal et Walden (éd Le mot et le reste)- réf ici
Aldo Leopold, L'almanach d'un comté des sables (éd GF) - livre ici
Robinson Jeffers, Le dieu sauvage du monde (éd Wildproject) - référence ici
Gary Snyder, Le sens des lieux : Ethique, esthétique et bassins-versants (éd Wildproject) -livre ici
Dune, altères et sable en kodachrome / lecture d'un texte inédit par Joel Zanouy

Merci à Joel de partager le texte intégral de sa prestation ! Joel nous livre une savoureuse auto/éco-fiction avec du sable d’or des plages sauvages du Porge
Si vous aussi vous voulez écrire, Joel est un animateur d'atelier d'écriture créative de talent, un atelier hebodo est en cours sur Bordeaux, vous pouvez le contacter ici
Si vous aussi vous voulez écrire, Joel est un animateur d'atelier d'écriture créative de talent, un atelier hebodo est en cours sur Bordeaux, vous pouvez le contacter ici
"Voici le texte que j'ai lu samedi soir, écrit spécialement pour cette occasion, lors de la manifestation LITTENATURE organisée par le Design Laps, espace créatif à Bordeaux
Sur la scène on peut apercevoir deux haltères en plastique assez imposantes et un appareil en forme de jumelles datant des années 60 permettant de visionner des diapositives.
Sur la scène on peut apercevoir deux haltères en plastique assez imposantes et un appareil en forme de jumelles datant des années 60 permettant de visionner des diapositives.
Je faisais couler le sable de l'Atlantique fraîchissant en son grain de soir qui tombe, il se déversait, poudreux, sur tes épaules, je te disais qu'enfant j'y voyais une énorme réserve d'or fin, un trésor d'Ali-Baba dérobé au moment où le soleil va s'éteindre.
(..)
Je vous écris depuis une ville de province que l'on a voulu absolument faire grandir, que l'on a souhaité étoffer. C'est cela que j'entendais souvent durant mon adolescence, j'étais maigre, si maigre, TU DEVRAIS T'ETOFFER. Et là je reviens à cette ville de province où j'ai grandi, on voudrait continuer à l'étoffer, elle en étouffe, elle en meurt ou presque. Bien sûr il nous reste l'Océan comme échappatoire, mais comme vous le savez, en matière d'aménagement du territoire, rien n'est jamais tout à fait sûr. L'océan ce bijou qui nous est offert au bout de la route sera là bien sûr, il aura même sans doute pris ses aises, se sera surement avancé ,menaçant , en dépit du Signal, envoyé par ce livre écrit à propos d'une résidence maintenant disparue du coté de Soulac par Sophie Poirier.
A vingt-deux ans je me suis donc décidé à m'étoffer, oh comme vous pouvez vous en douter et le constater, je n'ai pas été bien loin dans ce projet....
Sur les quais, dans un stock américain, j'ai trouvé deux haltères en plastique de cinq kilos, enfin cinq kilos chacune et pleines car vides elles devaient peser à peine une centaine de grammes.
Mais comment dans ce cas les transformer en véritables haltères qui me permettraient de transformer mon corps d'adolescent prolongé en celui d'un adulte décent, libre d'affronter les regards sur la plage du Porge ( pas la plage naturiste, l'autre..)
Le vendeur m'avait expliqué qu'il suffisait de déplacer dans chacun d'elles une languette caoutchouteuse pour découvrir un orifice d'où l'on pourrait vraisemblablement, à l'aide d'un petit entonnoir , les remplir de ...sable...
Quand le vendeur m'a dit qu'il fallait que je remplisse ces haltères de sable, je ne pouvais imaginer qu'UN sable, celui , doré du Porge-Plage, accessible par cette route qui longe le Parc bordelais, traverse Caudéran, Le Haillan, Eysines, Saint Médard-en-Jalles , lieu où il était impératif de se décider à s'arrêter à la station-service.
Cinquante francs par francs on devait vite un habitué de cette station-service, je n'allais jamais ailleurs, je me souviens de cet éblouissement par la lumière d'un présentiment atlantique, de cet enivrement par les vapeurs d'essence, de l'ordinaire, de l'ordinaire, jamais de supérieur, jamais. une baguette, une ou deux bières.
Il suffisait alors de tourner à gauche vers Saint Médard Hastignan, Le Temple ou bien à droite en direction de Salaunes, Lacanau.
Si vous désiriez vous confronter à une vision de droite consistant en une barre de béton sur l'Océan vous alliez vers Lacanau en passant éventuellement par Sainte-Hélène, en revanche si vous appréciez plutôt la côte sauvage, le mots anglais WILD, la Californie et la route 66, alors dans ce cas vous choisissiez l'option de gauche, toute en délicatesse, vous vous dirigiez vers Le Porge avec une cassette de Jefferson Airplane ou des Doors prête à s'enclencher à tout moment.
Quelques kilomètres plus loin, le nom de ce village LE TEMPLE, sonne comme un tocsin, nous occasionne deux ou trois frissons en forme de prière, on ne peut plus compter le nombre de jeunes bordelais tués dans le virage maléfique du Temple, à l'aube quand il s'agissait après la tournée des bars du centre-ville et la movida des boites de nuit d'aller contempler le lever du soleil qui persistait à se monter à l'Est alors que nous nous tournions obstinément vers l'Ouest, cherchant à inhaler un maximum de vent, d'air iodé après nos nuits tabaco-carboniques.
Arrivant au panneau indiquant Le Porge-ville, l'on se préparait à découvrir, juste derrière une masse de pins maritimes, après la première courbe verte et sable, l'Océan enfin , l'Océan et puis non , il fallait encore attendre quelques minutes, rouler dans la la lande girondine, rouler, rouler jusqu'au Porge-Plage, se demander pourquoi l'on n'était pas venu depuis si longtemps, au moins depuis la semaine dernière, rouler, rouler, les vitres de la voiture béantes jusqu'à ce que les dunes se mêlent aux pins, jusqu'aux oyats mais enfin il faut prendre soin des oyats!
Le soleil se fait si éclatant que je ne peux plus apercevoir tes jambes , je les effleure de ton couteau à cran d'arrêt, celui que tu ne quittes jamais, je ne suis pas comme le héros dont on reparle tant ces derniers jours avec la sortie du film de Ozon, le personnage du roman L'étranger de Camus, Meursault, non je ne te ferai pas de mal, tu aimes simplement le froid de la lame durant nos transports, tu me le demandes souvent, allez savoir pourquoi, le froid de la la lame sur tes jambes encore brûlantes du soleil girondin.
Ce n'est pas comme ça que j'imaginais les filles, fumant cigarillo sur cigarillo et faisant corps jour et nuit avec un cran d'arrêt, moi je rêvassais plutôt à un être s'apparentant à Yvonne de Galais, je me sentais plutôt Meaulnes, Grand Meaulnes que trappeur ou Marquis de Sade. Pourtant cela m'allait très bien, tu sais finalement, cette contemplation de tes jambes dorées légèrement élevées par rapport au niveau de la mer et ta voix devenue très précocement celle de Jeanne Moreau, on était bien, comme ça. dans ma cellule de moine anti écologique, ma Renault 12 couleur sable avec des sièges marrons bien chauds.
Mais ce jour-là j'étais seul, oui seul avec mes deux haltères vides en plastique dissimulées dans un sac, seul car je ne te connaissais pas encore, pas plus que l'usage du cran d'arrêt sur les jambes d'une fille, pas plus que son haleine envoûtante de cigarillo qui aurait pu embraser la forêt de pins toute entière, question de saison.
J'allais muscler ce corps efflanqué et on verrait ce que l'on devrait voir. J'allais remplir mes haltères du meilleur sable de la côte atlantique, une véritable poudre d'or qui allait réveiller mon existence, exit le marchand de sable.
Mais voilà ce sable ne se négocie pas, il appartient au Conservatoire du Littoral, aux Eaux et forêts, à l'Etat français, à la France, à l'Europe, à la civilisation occidentale, au Patrimoine de l'Humanité. Se l'approprier pour un usage personnel constitue un délit, c'est interdit.
Qu'est-ce que c'est bon ces interdits...
J'avais l'impression de voler de l'or et en réalité...Je volais de l'or. De dune en dune. Dix kilos d'or fin. Dans les creux de la zone dunaire, à l'abri du vent, le plus près possible de la protection des pins.
Plus tard c'est là que j'aimerais m'étendre au soleil de printemps frais, avec ELLE ou avec ELLES., à la confluence exacte des senteurs d'iode et de résine de pins, au moment précis où l'on se sent si léger mais pas encore tenaillé par la faim.
Il faut bien remplir ces haltères sans trop tarder, il vaut mieux éviter le passage de promeneurs furtifs ou de gendarmes.
Les grains de sable coulent dans mes haltères, j'allais dire mes artères, ils sont comme des mots, des pensées émiettées qui prennent la forme de fragments de discours, ils passent, vous parcourent mais on ne peut totalement les retenir, même si parfois ils surgissent dans une nouvelle, un roman.
C'est ce dont je voulais vous entretenir aujourd'hui, cette histoire de courant de conscience, de flux théorisé par William James, le frère d'Henry, par James Joyce, David Lodge et Dujardin.
Mais, que voulez-vous, je me suis trouvé entrainer par le poids de ces haltères, le poids du passé.
Durant des années, je les ai conservées dans une cave, elles paraissaient plutôt bien vieillir. Il est vrai que je ne les avais pas trop secouées.
Je me suis souvent dit que ce sable du milieu des années soixante-dix enfermé dans son écorce de plastique marron mériterait d'être analysé, scruté et comparé au sable du Porge-plage de l'année 2025. On constaterait les ravages causés par la pollution en un peu moins de cinquante ans, la dégradation de ce sable à l'origine si pur mais au fond je n'en suis pas tellement certain. En effet, à l'époque l'Espagne déchargeait depuis les falaises de la Cantabrie des bennes entières d'ordures, on retrouvait sur les plages aquitaines toutes sortes de produits, quelques cargos pétrolier avaient déjà sombré...
Cette année j'ai donné ces haltères à mon fils, ce sera son héritage, j'espère qu'il en prendra soin.
Il n'a pas pu s'empêcher longtemps de vérifier l'apparence, la couleur de ce sable, il m'a dit qu'il paraissait peu engageant , qu'il avait peut-être pris la couleur du plastique qui l'enrobait, le manque d'exposition au soleil, le climat bordelais délétère peut-être...
Ainsi j'aurais construit mot à mot, phrase par phrase, l'âge d'or de ce sable, inondé régulièrement par quelque flux de conscience.
Le temps m'aurait fait poser sur lui la couleur de mon choix, celle de tes jambes dorées ou bien celle de cette dune envahi par les chardons, les herbes sauvages, cette dune d'où je sautais enfant, prêt à la dévaler jusqu'à l'océan, sous ce ciel bleu pur de diapositive Kodachrome."